skip_to_content
(FR)

ARCHIMETISSAGE

25/06/2020Marc Gossé
DSC08254

ARCHIMETISSAGE

L’architecture entre nature et culture, entre contexte et mondialité

A la manière de Rossi (« L’architecture de la ville » Aldo Rossi, 1966), nous qualifierons ici d’architecture les formes spécifiques -paysages, villes, bâtiments, espaces publics- que prendra l’espace bâti et non bâti, bien au-delà de l’architecture comme discipline particulière du « construire ».

Les enjeux spatiaux ou architecturaux de demain -en rapport avec la crise actuelle- doivent rencontrer la complémentarité complexe entre culture et nature. Dans ces deux dimensions du principal défi civilisationnel contemporain et futur, la diversité est essentielle – diversité culturelle et biodiversité.

Les territoires, l’environnement urbain et l’architecture contemporains sont aujourd’hui confrontés au défi d’une uniformisation induite par la mondialisation ou à celui d’un particularisme identitaire réducteur. Les enjeux écologiques sont eux aussi devenus majeurs pour l’architecture, avec les menaces du réchauffement climatique et l’augmentation des pollutions environnementales diverses.

Dans le domaine de l’écologie, le « passif » menace de devenir une nouvelle idéologie et fait courir à l’architecture un risque d’inappropriation, car il ne prend pas assez en compte les conditions d’usage en privilégiant la démarche technicienne. La culture dans son acception anthropologique est en effet aussi importante que l’écologie ou la nature.

La discipline architecturale n’est pas discursive, mais métaphorique. Sa spécificité réside dans les rapports signifiants -donc culturels- qui lient par le projet les deux univers de la conception architecturale : celui de la réalité et celui de sa représentation. Le sens d’une architecture se crée par le passage d'un univers à l'autre, d'un niveau de conception à un autre, d'une échelle à l'autre. Dans ce glissement s'ouvre un choix pour le professionnel, qui est un choix éthique et culturel qui demande à l’architecte, à l’urbaniste, au paysagiste, … un décentrement dans la communication avec l’autre.

Suite à la « distanciation sociale » et au #jerestealamaison imposés par la pandémie, on se rappellera la célèbre « bulle » proxémique imaginée par Edward Hall (« La dimension cachée » 1978) pour décrire la dimension subjective qui entoure quelqu'un et la distance physique à laquelle les individus se tiennent les uns des autres selon des règles culturelles subtiles. Mais on a trop souvent oublié, durant la crise sanitaire, sa dimension anthropologique, sa complexité et sa variabilité culturelles.

L’architecture au sens large est une discipline fondamentalement culturelle ; elle met en jeu le caractère anthropologique de nos spatialités et les processus de conception et de production qui les matérialisent. Les cultures ne sont pas des « donnés » de l’histoire des sociétés mais le processus-même de leur histoire. Ce processus, de par le fait-même qu’il associe réalité et représentation du monde, est un processus de métissage permanent.

Ce métissage n'est pas un simple syncrétisme, un mélange de plusieurs formes culturelles, un assemblage éclectique : le métissage est créateur de nouveauté à travers une « culture de la disparition » (Serge Grusinski « La pensée métisse" Ed.Fayard, 1999). Les mécanismes de ce métissage sont particulièrement éclairants pour la production architecturale : mélanges, substitutions, réemplois, réactivations, détournements, références... condamnent toute idée d'autonomie au profit de l'idée de reliance, de relation, de charnière, de connexion entre les différents domaines et dimensions de l'architecture ou de la ville.

C’est ce que nous appellerons un « archimétissage », la construction d’une identité nouvelle, ouverte et relationnelle, qui se souvient sans reproduire le passé « mais à sa continuation sous des formes nouvelles » comme le disait Françoise Choay.

Tout mouvement artistique procède par une sorte de distillation ou d’essentialisation (comme l’huile essentielle) permanente, à partir d’un métissage qu’on peut qualifier de processus de résistance et d’émergence de modernité.

La question de l’identité n’est pas, comme certains le prétendent, une préoccupation « conservatrice », pas plus qu’une approche « progressiste » ne serait universaliste. Le métissage à l’œuvre dans nos sociétés contemporaines renvoie dos à dos ces deux catégories. Le métissage fonde la question de l’identité sur une multiplicité d’appartenances, sur la complexité culturelle de notre être au monde.

Concevoir des espaces appropriés et appropriables par nos populations trans- ou multiculturelles est un enjeu autrement important que les querelles esthétiques, en ces temps de défis démographiques et migratoires impressionnants.

Il faudra bien qu’un jour la question des archétypes architecturaux, qui semblent si profondément ancrés dans notre inconscient, soit posée au regard de nos sociétés et de nos villes polyculturelles, sous peine de déboucher soit sur un universalisme aveugle et voué à l’échec (dont la particularité culturelle n’échappe qu’à notre myopie) ou un communautarisme intolérant, tous deux incapables de générer un « vivre-ensemble » digne d’une véritable démocratie.

Partout en Europe et dans le monde, il faudra bien réfléchir pour l’avenir –et même d’urgence- au dépassement des typologies traditionnelles de l’habitat (à Bruxelles, par exemple, maisons mitoyennes «3 pièces en enfilade » ou appartements stéréotypés « entrée- wc-séjour-cuisine-salle de bain-chambres à coucher ») pour aborder la recherche d’une typologie nouvelle susceptible de satisfaire la multiplicité des modes de vie dans un territoire, des villes ou des villages métissés, une métis-architecture.

A l’issue de la crise multi-dimensionnelle actuelle et notamment de la crise sanitaire, notre capacité à proposer un vivre-ensemble qui tienne compte du caractère diversifié de nos composantes culturelles et écologiques sera déterminante. Quelle forme plus ou moins bâtie lui donner ? Une forme particulière et unique, à nulle autre semblable, chaque fois différente selon le lieu et les composantes métissées de son histoire, et cependant universelles au sens de la « mondialité » chère à Edward Glissant (Edouard Glissant in « Le tout monde » Gallimard, 1995), selon laquelle toute identité s’étend dans un rapport à l’autre (E.G. in « Poétique de la Relation », 1990).

« Là où les systèmes et les idéologies ont défailli, et sans aucunement renoncer au refus et au combat que tu dois mener dans ton lieu particulier, prolongeons au loin l’imaginaire, par un infini éclatement et une répétition à l’infini des thèmes du métissage, du multilinguisme, de la créolisation » (Edward Glissant « Traité du Tout-monde », 1997).

Marc Gossé / Architecte et urbaniste